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vendredi 22 janvier 2010

Cartographie : introduction.

Comment ne pas s’étonner que les pôles, bien qu’étant les lieux les plus évidents à trouver sur la planète aient été si difficiles à découvrir. L’Antarctique notamment a été la dernière « terra incognita ». La banquise mouvante, emprisonnant les voiliers à la dérive, et les épreuves traversées par les équipages pour survivre aux froids et aux vents, ont longtemps rendu l’accès et donc le tracé de ces terres difficiles.


Les chasseurs de baleines furent ensuite les premiers à en avoir une connaissance assez claire, mais ils gardaient jalousement le secret de leurs lieux de pêche. La connaissance s’est ensuite construite par défaut au sens où l’objectif n’était pas la connaissance des pôles mais la reconnaissance des frontières nord des pays limitrophes ou la recherche de passages pour les routes maritimes. Le commerce et la politique ont ainsi longtemps gouverné les explorations. Cette course aux terres se faisait parfois sous couvert d’explorations scientifiques, jusqu’à ce qu’un réel intérêt scientifique la transforme en une course aux pôles.


Mais la cartographie n’est pas qu’une question de connaissance, les cartes sont aussi le reflet d’une certaine pensée du monde, d’une réflexion sur l’inconnu en référence à ce qui fait repère. De carte en carte, on voit à la fois évoluer ce qui est connu et référencé, et se dessiner les contours de ce qui est inconnu et recherché. Les cartes sont aussi le moyen de faire connaître plus qu’un territoire mais aussi des valeurs, philosophies et engagements qui sont en cours à l’époque de la découverte. Ainsi, la carte est support d’une pensée, d’une religion ou d’une théorie scientifique.


Les deux régions polaires jusqu’au 45e degré de latitude

Œuvres complètes de M. le Comte de Buffon, époque de la nature, histoire naturelle, générale et particulière, tome 6
Paris : Imprimerie Royale, 1779.
Lyon 1, BU Sciences de la Vie et de la Terre

Cette carte est assez unique puisqu’elle représente les deux pôles. Buffon représente avec cette carte les terres découvertes par les explorateurs sur les chiffres desquels il fonde ses théories. Mais cette carte ne joue pas seulement le rôle d’illustration. Il s’agit d’une prise de position scientifique. En effet, le naturaliste s’est intéressé au climat et a étudié les résultats des expéditions du 18ème qui se sont succédées dans les pôles. Il en tire plusieurs remarques sur la constitution de ces terres, l’intérêt des explorations et le refroidissement du climat.

Représenter les pôles jusqu’au 45e degré de latitude nord et sud permet à Buffon de montrer que dans l’hémisphère austral, le refroidissement glacial s’est étendu beaucoup plus loin que dans l’hémisphère boréal. La correspondance dans l’hémisphère sud de la position des villes de l’hémisphère nord montre la différence de latitude des étendues glacées entre les deux pôles. En effet, si les glaces arctiques commencent au 65° latitude nord, les glaces antarctiques se trouvent dès le 50° latitude sud et Paris est au 48° latitude nord. Cette carte, ces choix de représentation appuient les théories de Buffon sur le refroidissement terrestre progressif.

Cette carte et les choix que Buffon fait dans sa représentation des pôles sont aussi dépendants de la vision d’une époque qui veut que les explorations n’aient d’autres buts que la conquête des territoires. Les terres tempérées plus importantes dans le nord étaient utiles car cultivables et habitables, les terres antarctiques étaient bien trop hostiles. Mais Buffon dit aussi : « je ne présume pas qu’au-delà du 50° degré les régions australes soient assez tempérées pour que leur découverte pût nous être utile. » (p.269)


L' Antarctide exploré en 1914

Deuxième expédition antarctique français 1908-1910
Paris : Masson, 1911.
Lyon 1, BU Sciences

L’accessibilité du pôle nord en a fait un lieu d’exploration plus privilégié que le pôle sud. Certes, les navires devaient dériver pour approcher du pôle puis utiliser, pour atteindre le pôle magnétique, des traineaux. Mais l’antarctique étant un continent, les équipages semblaient ne pouvoir utiliser la même technique pour atteindre le pôle sud. La marche à travers le continent dans des conditions extrêmes rendait le projet plus fou et plus audacieux encore que d’accéder au pôle nord. Mais une fois l’enjeu atteint par Admusen, le pôle sud et surtout les îles subantarctiques sont devenues des lieux privilégiés pour les études scientifiques.

Certes, l’Arctique est aussi le lieu de recherches physiologiques, psychologiques, météorologiques, mais le continent glacé permet des recherches géologiques et géophysiques qui ne peuvent être menées dans l’hémisphère supérieur. Ainsi, si on compare cette carte à celle de Buffon, on voit combien en un siècle et demi les terres australes ont pu être visitées et la connaissance de celles-ci complétée. Malgré cela, l’Antarctique reste encore aujourd’hui un continent quasi inexploré, hormis les côtes et les quelques stations continentales.


Carte du cercle polaire arctique

The norwegian North polar expedition 1893-1896
J. Dybwan, 1900-1906.
Lyon 1, BU Sciences


Les cartes du cercle polaire arctique ont peu changé entre le 18ème et le 19ème siècle. Il est vrai que la connaissance des côtes nordiques s’est faite assez tôt et que les explorateurs du 19ème se sont surtout attaqués à deux grands projets : atteindre le pôle magnétique et trouver un passage nord-ouest. Les cartes n’ont donc pas vraiment changé.


Si on compare cette carte de l’Arctique et celle de l’Antarctique (carte suivante), on s’aperçoit que la latitude comme limite de représentation est très différente : 60° de latitude dans le cas du nord, et 30° de latitude dans le cas du sud. Il semblerait que les cartographes fassent toujours référence à des points de repères, terres connues ou habitées. Or cette frontière avec la terre habitable et celle qui ne l’est pas est plus proche au nord. Choisir la limite du 60° de latitude nord suffit donc pour représenter tout le cercle polaire arctique. Au contraire, pour représenter l’Antarctique, il est nécessaire de remonter très loin vers les tropiques.


Carte de l'Antarctique

Deutsche südpolar-expedition 1901-1903, im aufrtrage des reichsamtes des innern
Berlin : Georg Reimer, 1908.
Lyon 1, BU Sciences de la Vie et de la Terre


Cette carte situe le pôle sud par rapport aux terres explorées : Australie, Amérique du sud et Afrique en en faisant le centre de la carte et non pas seulement le point extrême ou ultime du cartographiable. L’étendue de l’Antarctique par rapport à ces territoires retrouve alors toute son importance. Il est vrai que les planisphères ont tendance à écraser les pôles et à ne rendre compte que d’une partie de ceux-ci. Ces cartes centrées sur les pôles ont pour résultat de clarifier leur position, leur étendue, leur proximité.


D’autre part, la carte ci-dessus est tirée d’un livre de zoologie. Il ne s’agit pas pour l’équipe scientifique de décrire où ils ont étudié mais bien de pouvoir rendre compte de la présence de certaines espèces par la proximité de lieux (les mers notamment) où ces espèces sont déjà connues. En effet, les espèces que l’on trouve en Antarctique ne sont pas exclusives de ces régions. C’est aussi ce que l’on constate en Arctique puisqu’on trouve des espèces polaires d’ours, renard et loup, mais aussi de poissons, micro-organismes et planctons.


Carte de la profondeur des mers arctiques

Fridtjof Nansen

The norwegian north polar expedition, 1893-1896

Christiania : A. Brogger, 1900.

Lyon 1, BU Sciences


Cette image est une carte du relief marin qui met en évidence que l’Arctique est une mer gelée. En effet, le relief y est toujours calculé comme celui des profondeurs marines, alors même qu’il y a des étendues gelées et praticables par l’homme au-dessus de ces fonds.

Quand bien même l’évidence veut que cette mer soit entièrement gelée, puisque plus les latitudes sont élevées, plus il fait froid, une thèse a longtemps circulé sur la mer libre de glace. Cette thèse, soutenue par Auguste Petermann, affirme que sous l’action du rayonnement solaire et des courants, une partie de l’Arctique subirait un climat plus doux et la mer y serait libre de glace. Non seulement cette théorie a influencé des auteurs comme Jules Verne, puisqu’on en retrouve la trace dans les voyages du capitaine Hatteras, mais aussi le gouvernement britannique qui a refusé de financer l’expédition Osborn, un des détracteurs de Petermann.

Cette théorie avait des implications importantes pour les expéditions. Les navires se laissaient emprisonner par les glaces pour se rapprocher le plus près possible du pôle, puis les équipages devaient poursuivre à pied ou en traineau. L’idée d’une mer libre de glace laissait supposer que le pôle pourrait être rejoint par bateau après avoir traversé la banquise. Un navire brise-glace partant de l’Atlantique aurait ainsi pu briser la glace sans se laisser dériver jusqu’à la mer libre, traverser celle-ci, briser la glace de l’autre coté et rejoindre le Pacifique. Cette théorie permettait d’envisager de nouvelles routes marchandes.

Environs de la station d'hivernage

Jean-Baptiste Charcot, Louis Joubin
Deuxième expedition antarctique française 1908-1910
Paris : Masson, 1911.
Lyon 1, BU Sciences

Cette carte mise en rapport avec la précédente montre que la notion de relief en Antarctique s’appuie sur des caractéristiques terrestres et non maritimes. Dans cette carte nous voyons que l’Antarctique est bien un continent et non une étendue plane de glace. Les couleurs choisies sont intéressantes. Alors que dans la carte précédente les couleurs du relief ne laissent pas deviner qu’il s’agit de relief marin, les couleurs pour cette carte-ci sont des nuances de bleu, que ce soit la terre ou la mer qui soit représentée. Les cartographes sont souvent confrontés à la difficulté de représenter à la fois la réalité (un sol glacé et recouvert de neige) et l’information (le relief de cette zone). Néanmoins l’utilisation de touches brunes au niveau de certains sommets et des côtes ne laisse aucun doute sur la nature continentale de l’Antarctique.

Au-delà du relief, cette carte s'intéresse aux alentours de la station d’hivernage. Soit l’équipe scientifique chargée de la cartographie ne s’est aventurée que jusque là, soit cette carte avait une utilité directe pour l’équipe en place pendant l’hivernage. En effet, en hiver le relief change avec la couche de neige qui s’ajoute, ce type de carte permettait aux hivernants de se repérer et de connaitre, avant que l’hiver ne débute, la situation de leur lieu de vie. De plus, des choix étaient alors possibles sur les lieux où installer les instruments de mesure selon la hauteur ou la protection du vent nécessaire.